Des pas, des pas de loups, cavalant, il les sent se rapprochant. Des pas légers mais rapides, plutôt une course alors. Le joli petit canidé aurait-il peur ? Ou était-il seulement naïf et encore enivré par la jeunesse ? En tout cas, elle s'approchait, de plus en plus proche de lui, lui qui était tapi dans l'ombre depuis tant d'années, coupé du monde, appartenant au passé... Le revoilà qui refaisait surface. L'endroit était sombre mais le loup distinguait la louvette qui s'approchait. Une silhouette fine, un pelage couleur de nuit, et cette naïveté d'enfance sur le visage. Elle était jeune, très jeune, peut-être encore adolescente ou à peine sortie de cette période ou on est censé se rebeller car on est presque adulte. Ce genre de comportement faisait beaucoup rire Saël qui n'avait pas connu tout cela. S'il était différent, c'était bien parce que sa vie avait été différente. Pas de parents attentionnés, pas de frères ou sœurs, rien, seulement lui, son père violent et sa mère inexistante, lui et sa folie, lui et son sadisme, lui et seulement lui.

Les pas se rapprochaient toujours plus, accompagné du gazouillis léger d'un oiseau. Un délicieux petit volatile ainsi perdu dans l'immensité de ténèbres qu'était cet endroit. Saël aimait beaucoup cet endroit qui n'avait pas réellement de nom, des ténèbres, éternelles, un monde sombre où il était tellement simple de piéger de pauvres proies perdues... Le loup sourit, cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait plus croisé aucun loup. Et cette loupiote esseulée semblait en plus de cela être de son clan. Excellent. Parfait. Un frisson parcourut son pelage sombre, tandis qu'il se mettait à ricaner. L'ombre de la louve s'approchant de plus en plus, ses pas résonnants de plus en plus à ses oreilles. Un sourire fendit son visage tandis qu'il se pourléchait les babines, comme pour savourer une proie fraîchement savourée, la gueule encore pleine du sang du gibier. Tel un serpent, ombre parmi les ombres, Saël s'approcha de l'adolescente, plus discret que la mort, ses pattes ne produisant aucun bruit. La louve ne bougeait plus, comme subjuguée par le ciel, ce ciel sombre avec sa lune et ses étoiles les narguant de toute leur hauteur. Et elle se mît à chanter, chant qui étira le sourire du loup qui se rapprochait de plus en plus, ombre parmi les ombres, aussi silencieux que la mort.

La louve semblait bien naïve, l'idée que quelqu'un l'épiait ou pouvait être présent tout proche ne semblait même pas lui avoir effleuré l'esprit. Elle continuait a hurler de sa voix d'enfant. Silencieusement, Saël se glissa à ses côtés, jusqu'à ce que son pelage frôle le sien. Il colla sa tête à celle de la louve et se mît à soupirer d'aise, le sourire aux babines, encore et toujours.

"Quel chant pour une loupiote aussi frêle... Chantez donc encore !"

Il se colla un peu plus à elle, et la força à tourner la tête, pour que son regard polaire se plonge dans ses yeux. Son regard bleu, fou, dans lequel on ne lisait qu'un amusement malsain. Il passa sa patte sur la nuque de la louvette et la força à s'incliner un peu. Il se pencha jusqu'à son oreille, soufflant son haleine chaude, riant légèrement. Un frisson parcourut à nouveau son pelage tandis qu'il continuait de rire.

"Chantez donc... reprit-il d'une voix frissonnante, un si joli visage... Vous ferai-je peur ? Ma mère avait peur aussi, mais elle était si jolie, comme vous... Jusqu'à ce que la peur la rende laide."

Il ricana avant de relâcher la louve et de passer dans son dos avec rapidité. Passant derrière elle, il lui faucha l'une de ses pattes pour la faire tomber et se replaça en face d'elle, son regard brûlant, sa folie refaisant peu à peu surface. Il attrapa son visage de sa patte, comme pour la contempler, un sourire aux babines, dévoilant légèrement ses crocs. Le loup se pourlécha encore les babines comme impatient de la dévorer de l'intérieur. Reposant sa patte sur sa nuque, il l'approcha d'elle, et à nouveau au creux de son oreille, déclara :

"Tu veux savoir pourquoi je souris tout le temps ? Veux-tu que je te le montre ?"

Alors qu'il déclarait cela, une brume épaisse commençait à se propager, lentement, très lentement...

Elle souriait, comme une enfant, une petite, minuscule, et naïve enfant, inconsciente du monde qui l'entourait. Inconsciente que le serpent mordait et que les loups des autres clans n'étaient pas ses amis. Si jeune, si souriante si... Stupide. Saël souriait à la voir si bien qu'il fit disparaître sa brume, un tout autre plan s'échafaudant dans son esprit tortueux. Il dut retirer également sa patte du pelage de la louve, celui-ci commençant légèrement à la brûler ce qui l'etonna quelque peu mais il n'y prêta pas plus attention. Et elle continuait de sourire, ah, délicieuse enfant... Saël ricana en se pourléchant une fois de plus les babines, savourant de voir tant de stupidité réunie dans un seul et même corps.

"Je m'en fiche bien que tu souris, si tu souris c'est que tu es heureux et seul ça compte !"

Un rire fou et sonore s'échappa une fois de plus de ses babines. Avec vivacité, il attrapa la tête de la louve entre ses pattes, son regard dans le sien, et il la fit tournoyer, comme le ferait un louveteau avec une boule de mousse. Son rire se calmait peu à peu mais son sourire restait graver sur son visage fin, sa face de fou qui aurait pu être si attirante, avec son regard polaire sa belle fourrure et son allure élancée. Mais non, tout cela était gâche par la laideur de sa folie, par le sang sur ses pattes, par ses rires de dément. Son rire s'effaça enfin ne restait que le silence, ce silence qu'il savourait son plan continuant de se former dans son esprit.

"Heureux ? Non, pas exactement, joyeux serait plus approprie, mais tu es peut-être un peu trop simplette d'esprit pour saisir la différence ?"

La louve noire se décala un peu  comme pour prendre ses distances avec le prédateur, ce qui étira son sourire carnassier. Il s'assit la queue fouettant l'air comme les branches d'un arbre au vent. Se léchant la patte comme un félin, un gourmand chat ayant repéré la souris qu’il convoitait depuis tant de temps. C'était ce qu'il était, un prédateur observant sa proie avec intérêt sans paraître pour le moment menaçant, patient, mortel.

"Mais sache que pour ta gouverne je ne suis pas une loupiote mais une louve et je m’appelle Nightrun et toi ?
- Tss... Si jeune..."

Il se releva et se mît à tourner autour de Nightrun, puisqu'il s'agissait de son nom, autant l'employer, comme un vautour autour de la dépouille d'un animal. Il trouvait d'une grande stupidité les loups se dévoilant ainsi aux autres, comme des louveteaux. Un louveteau, c'était ce qu'elle était. Un naïf loupiot un stupide enfant...

"Et je ne souhaite pas me battre avec un loup de mon clan.
- Mais qui t'as parlé de te battre ?"

Saël s'arrêta de tourner autour d'elle, marqua un temps d'arrêt puis, s'approcha d'elle. La louve noire siffla entre ses crocs et, aussitôt, un oiseau se posa près d'elle, un ridicule morceau de viande. Le loup sourit et, avec vivacité et force, il fusa sur la louve et écrasa sa tête au sol, non pas comme la dernière fois, petit à petit, mais cette fois avec brutalité. Il continuait d'exercer une pression, jusqu'à lui faire entrer la tête dans la terre s'il le fallait. Il se pencha vers elle, pour lui dire sur le ton de la confidence, se mettant à ricaner légèrement :

"Tu ferais des cauchemars de mon nom insolente enfant... Apprends à te taire face à l'inconnu plutôt qu'à tout dire en souriant bêtement petite idiote !"

Il relâcha sa tête pour lui donner un violent coup de patte à cette dernière, gardant tout de même soin de ne pas sortir ses griffes. Puis, repérant l'oiseau qui s'était écarté comme apeuré, il sauta dessus, le tenant par une aile du bout de la griffe. Le volatile commençait à se débattre, mais le loup le tenait, entre ses pattes, continuant de sourire, une lueur de gourmandise dans ses yeux bleus. Saël observa l'oiseau, comme ayant un faux intérêt puis jeta un regard amusé à la loupiote. Le prédateur claqua ses mâchoires en riant puis, d'une voix doucereuse reprit :

"Quel charmant oiseau ! Tu me laisseras bien me divertir un peu avec, n'est ce pas ?"

Il activa à nouveau son pouvoir, ses pattes arrières et sa queue disparaissant dans la brume épaisse qui se propageait peu à peu jusqu'à la louve noire. Assombrissant les alentours, jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le brouillard. Et Saël rit, un rire froid, fou, désireux de connaître la réaction de la loupiote.

Et la voilà qui grogne, couine, gémit presque, mais toujours pas de larmes, aucune terreur, juste des grondements sourds et de petits couinements de nouveaux-né. À chaque fois qu'il était en contact avec elle, il sentait sa patte chauffer, mais qu'importe, la louve pouvait faire tout ce qu'elle voulait pour le blesser, il avait le charmant volatile entre ses pattes, elle n'y pouvait rien. "Sale fou !" "Lâche-le !" La voilà qui lui ordonne, l'injuriant, et il rit de plus belle, dissimulé dans sa belle brume d'obsidienne attendant encore un peu, avant de la tourmenter encore plus. Et elle continuait de brailler le nom de son précieux volatile qui avait abandonné l'idée d'échapper aux griffes de Saël, le prédateur qui continuait de rire à s'étouffer en voyant la loupiote sauter dans la brume en espérant le percuter.

"Je t'en supplie ne fais pas de mal a Fletch, fais ce que tu veux de moi mais libère le ! S'il te plait !"

C'est le moment, son sourire s'étira, il passa encore une fois sa langue sur ses babines, comme-ci il venait d'avaler l'oiseau, le ridicule petit être de plumes. Sa brume commence à faire disparaître son arrière-train, il est temps. Il relâcha l'oiseau qui s'envola à tire d'ailes à la recherche de sa précieuse loupiote et Saël activa réellement son pouvoir. Le voilà dans l'esprit de la louve, il peut désormais lui faire voir ce que bon lui semble, jusqu'à ce que ses pattes avants disparaissent, il ne va jamais plus loin, de peur de disparaître complètement dans sa brume. Et dans son esprit, le voilà qui l'emmène dans une plaine déserte, sans arbre, une terre grise, un ciel sombre sans lune ni soleil. Et son ricanement en fond, qui résonne, qui parle :

"'Ce que je veux, c'est bien ce que tu as dit petite louve ? Mais j'ai déjà ce que je veux ! Te terroriser à te rendre folle, c'est ça que je veux !"

Et sa voix résonne, simple illusion, du à son pouvoir, puisqu'il était toujours en face d'elle, elle dont les yeux brillaient, de la tristesse ? De la peur ? Qu'importe, les deux lui convenaient parfaitement, il voulait maintenant voir de la souffrance. Son torse commençait à disparaître dans la brume, bientôt il devrait tout arrêter. Il sourit, la brume disparaissant peu à peu pour réformer sa queue, ses pattes arrières, lentement, laissant l'esprit de Nightrun en paix. Il avait eu ce qu'il voulait, l'effrayer, pour, qu'à chaque fois que ses chemins se croisent, elle frissonne. L'oiseau était revenu à ses côtés, les plumes gonflées et le bec ouvert, témoignage de sa frayeur. Saël avait fait d'une pierre deux coups. Un sourire gourmand se dessina sur ses lèvres. Il s'avança, passant à côté de la louve, son pelage frôlant le sien et il glissa tout en avançant :

"Retiens bien mon nom fillette, je suis Saël, un anarchiste mais tu préféreras certainement me traiter de fou... Et c'est vrai. Mais n'essaie pas de me mettre des bâtons dans les roues ou ton gentil petit oiseau finira au creux de mon estomac."

Et il ricana, tout en s'éloignant un peu, ayant comme première idée de partir, jusqu'à ce qu'une nouvelle idée germe dans son esprit. Saël s'arrêta, son sourire s'agrandissant. Toujours dos à la loupiote, il déclara d'une voix légèrement éraillée :

"Tu veux savoir pourquoi je souris tout le temps ?"

Il adorait tellement raconter ses histoires, avant comme après ses petits jeux, mentir, tromper, comme il savait si bien le faire.

Il la voyait sa peur, sa détresse, dans ses yeux brillant de larmes, alors que son corps tremblait presque. Il se délectait de la voir si pitoyable, si minuscule face à lui, face à ces illusions, juste parce qu'il tenait un minuscule volatile il y'a encore quelques instants du bout de la griffe. Et la voilà maintenant qui voulait montrer une face dure, à gronder et à faire apparaître ses petites flammèches noires. C'était pitoyable. Saël ricana en la voyant, amusé par sa réaction, elle qui le suppliait il y'a encore quelques instants. Elle le menaçait même ! Le loup ne pût qu'amplifier son rire, elle était bien amusante cette charmante loupiote. Saël s'assit face à elle, son sourire et son regard montrant clairement qu'il se prenait supérieur à la loupiote, et il l'était, lorsque l'on s'écrasait ainsi face à quelqu'un, on ne pouvait être que soumis, un petit mouton entre les griffes du grand méchant loup.

"Je t'écoute, mais sache que ce rictus sur ta face te rend très laid !
- Tu veux que je te dise quelque chose ?"

Il s'approcha d'elle, d'une démarche lente et souple, tel un félin, le regard sombre, braqué sur elle. Il observa quelques instants l'oiseau, qui se tenait à une distance raisonnable de lui, ce qui le fit sourire, encore et toujours, ce même sourire, cette même lueur d'amusement dans les yeux. Il se pencha à son oreille, soufflant bruyamment et, d'une voix faible et sifflante, déclara :

"Il n'y a pas plus laid que celui qui montre clairement sa peur !"

À peine eut-il fini sa phrase que Saël donna une violente bourrade à la louve, la faisant basculer en arrière. Sur elle, le loup plaqua ses pattes sur ses épaules, plantant presque ses griffes et menaçant de la blesser si elle osait bouger. Le petit oiseau s'était envolé à tire d'ailes, abandonnant lâchement son "amie". Un sourire carnassier, le loup contempla Nightrun, jouissant de cette position de supériorité. Puis, son expression se changea du tout au tout. Un masque froide le même qu'il prenait autrefois, lorsque sa mère était battue par son père, celui de l'indifférence, cette effrayant indifférence face à la souffrance d'autrui. Il lâcha la louve d'une patte et, lui donna un violent coup de griffe au museau, et son sourire revint, lorsqu'il vit le sang gicler.

"Si je souris c'est parce que ce monde ne mérite pas de le prendre au sérieux, tout droit brûler, tout ! Il suffit d'une seule goutte d'anarchie pour que tout basculer, juste un soupçon, et te voilà, comme les autres, sous mes pattes, la face en sang !"

Il sauta la relâchant, dos à elle, il vit comme des flammes, entourant subitement l'endroit, ses yeux s'illuminant d'un nouvel éclat de folie, plus troublant, plus effrayant, comme-ci ce spectacle de l'endroit brûlant le fascinait. Un sourire digne d'un enfant s'extasiant devant le paysage, il reprit :

"Tout doit brûler..."

Le regard soudain sombre, il se tourna vers la loupiote, les yeux brillant d'une haine que peut lui connaissait, cette haine qu'il avait envers le monde, cette haine qui avait donné naissance à sa folie.

"Ose, me menacer encore une fois, pitoyable loupiote, et je t'éventre avec ton oiseau."

L'éclat de colère pure disparut, et il retrouva son sourire, il avait fini, il était soudainement fatigué, il était temps qu'il quitte l'ombre.

La ridicule loupiote se mît à couiner comme un ridicule animal entre les griffes du chasseur. Son museau saignait, c'était une partie sensible, le loup gris le savait pertinemment. Il observait le liquide poisseux s'écouler, le faisant sourire de plus belle. Il aimait voir le sang couler, il aimait teindre le monde de rouge, transformer le vert de l'herbe en écarlate pendant que les cris de douleur résonnaient. Il ferma les yeux, savourant sa vision tout en frissonnant. Il voulait que le noir de son pelage se transforme en pourpre... Mais pas maintenant. Pas alors qu'il revenait à peine et qu'elle faisait parti du clan. Pas avant d'avoir gagné la confiance de plus hauts gradés, et de la faire taire dans l'ombre, ignorée de tous, qui se transformera comme lui, en fantôme du passé.

"Je n'ai d'ordres à recevoir de personne même d'un fou comme toi !"

Il ira, ouvrant ses yeux pour les braquer sur Nightrun. Il souriait, comme toujours, mais son regard n'exprimait rien. Ni malveillance, et encore moins de bienveillance, juste une tranquille assurance, lisse comme de l'eau, indéchiffrables. Saël passa sa langue rose sur ses babines encore une fois, comme-ci il savourait le sang de la loupiote qui continuait de s'écouler le long de son museau. Il écarta sa mèche de son visage d'un mouvement de tête et s'assit, tout en levant sa patte au museau pour lécher ses griffes encore imprégnées du sang de la louvette.

"Ce n'est pas un ordre mais plutôt... Un conseil. Que tu aurais fort intérêt à écouter si tu ne veux pas perdre ton ami à plumes dans un malheureux et tragique accident."

À la fin de sa phrase, sa voix avait été exagérée partant dans le ton des lamentations comme pour mimer le deuil, avant qu'un rire gras sorte de sa gueule, comme se moquant de la loupiote. Saël jeta un regard à l'oiseau qui s'était éloigné, encore un peu plus. Le frêle et simple volatile... À la chair si tendre sous les crocs du loup. Le prédateur aimait les petites proies, aimant faire craquer les os sous ses mâchoires puissantes, ses mâchoires de prédateur. Cela lui donnait faim tout cela. Il était temps de partir, en laissant un dernier souvenir de lui à la loupiote. S'approchant d'elle, sans prévenir, il se jeta sur elle et planta ses griffes dans son épaule. Il ne fallait pas la blesser trop gravement, juste assez pour lui faire mal sans trop l'amocher. Juste assez pour lui faire comprendre qu'il ne plaisantait pas.

"Je tu offre un magnifique présent en laissant la vie sauve à toi et ton oiseau. Sois reconnaissante petite louve, tu n'auras peut être pas cette chance si nos chemins se croisent à nouveau."

Il la relâcha, lui donnant une violente bourrade pour espérer la faire tomber et s'éloigna, disparaissant dans l'obscurité, fantôme du passé, désormais revenant.