Qu'est-ce que tu m'veux ?     Ob' and Ama'

"Eh ben, mon vieux, ça y est. Les troubles reprennent sur les terres de l'Ombre on dirait..."

Ob' repense aux paroles de son frère. La veille, Ils avaient tous les deux intercepté un cerf et l'avaient renvoyé là d'où il venait. Il secoue la tête pour passer au-délà de ce souvenir.

"Ta gueule, Cliff !"

Dans les brumes froides qui recouvrent Arcain, Oblivion continue sa marche solitaire. Depuis qu'il s'est chargé de ce cervidé avec Cliff, il resent un truc bizarre en lui. Comme un vide, ou une honte. Il ne voit pas ce que les cerfs ont fait de mal, mais il se sent obligé de les chasser. Il éprouve de la haine envers eux, du mépris aussi, mais il ne sait pas pourquoi.


Ob' marchait, seul, la tête baissée pour protéger ses yeux des coups de vent assassins des terres de l'Ombre. Il était courageux d'avoir accepté la mission que son alpha lui avait confiée. Mais, à dire vrai, il avait oublié de quoi il s'agissait. Ce n'était sûrement pas important. Ou alors ça devait concerner les cerfs, et dans ce cas, Oblivion n'avait aucune intention d'obéir. Il ne refuserait pas de tuer l'un d'entre eux, mais uniquement si c'était son propre esprit qui lui dictait un tel acte. Pas un loup qui ne le connaissait qu'à peine, quel que soit son rang.

Sans s'inquiéter de cette prétendue mission, Oblivion marchait donc. Ses pattes s'enfonçaient de quelques centimètres dans la boue formée après les dernières averses. Il se sentait incroyablement seul depuis quelques jours. Il avait déjà refait le même trajet quatre fois. Chaque fois, il espérait entendre une voix sans voir qui que ce soit. Il espérait qu'un fantôme lui parle. Cliff n'avait plus donné signe de présence depuis leur discussion après avoir chassé un membre de la Horde. Et Ob' n'avait strictement aucune idée de ce qui avait ainsi réduit son défunt frère à ce mutisme inhabituel. C'est pourquoi il attendait qu'un esprit quelconque vienne l'informer de quelque chose le concernant.

Etrangement, depuis ces quelques jours, Oblivion était également sujet à diverses sautes d'humeur quelque peu agaçantes. Il passait d'une rage dévastatrice à une mélancolie morbide, puis prenait une teinte sournoise pour mieux se fondre dans un caractère méprisant, sadique et ironique. Mise à part sa phase de nostalgie inexplicable, ses différents traits de caractère ne le dérangeaient pas le moins du monde. Ennuyer les autres lui plaisait. C'est pourquoi, lorsqu'il découvrit l'autre, il mit sa morne attitude de côté pour adopter son sourire méprisant.



A présent perché sur un rocher, regardant le loup de la Vie de haut en souriant fièrement, Oblivion ressassait la disparition d'Asei. Il avait avalé amèrement la perte de celui qu'il avait eu pour tâche de protéger au péril de sa vie. N'attendant pas de réponse d'Amarante, il continua sa tirade sarcastique.



Le ton avait haussé, Ob' n'avait pas envie de se battre, il avait juste envie de planter ses griffes et ses crocs dans quelque chose. Et, au grand dépit d'Amarante, la pierre sur laquelle reposait le jeune grade d'élite n'était pas assez tendre pour permettre un tel geste...

Pourquoi courrir quand on n'a aucune idée de sa destination ?

Qu'est-ce que tu m'veux ?     Ob' and Ama'

Cliff aurait dû être là. Il aurait dû épauler son frère, le rassurer, lui dire que les mots de cet alpha arrogant n'étaient pas sérieux, le clamer,... Mais Cliff était absent. Sans qu'Oblivion n'en décèle la raison... Il n'avait rien pu faire pour empêcher Ob' de s'énerver.

Le simple regard d'Amarante l'avait mis hors de lui. Lui, était sur ses terres, il n'avait pas franchi de limite d'impertinence quelconque, et ce devait bien être l'une des premières fois ! C'était à ce loup étranger de céder, pas à lui ! Il lui en voulait, il ne l'aimait pas. Certes. Mais il ne ressentait pas encore une animosité trop grande envers lui. Le souvenir de son propre alpha était encore trop net dans son esprit. Asei lui manquait. Il avait l'impression d'être inutile. Siam allait être nommée alpha à la place du loup vénérable qu'Ob' devait protéger, et il savait parfaitement que la bêta actuelle savait très bien se débrouiller. Il serait vite exclus et ne trouverait rien d'autre à faire. Il n'excellait pas dans une multitude de disciplines... Il était par contre devenu maître dans l'art de manier les mots, ce qui pouvait se révéler efficace lorsque la colère lui venait.
Comme à ce moment.
Quand Amarante a pris la parole à nouveau.
Des mots qu'il aurait dû garder...



Oblivion le fixa, le regard dur comme de la pierre, froid comme de la glace. Il lançait des éclairs. En temps normal, il se serait attendu à voir un ou deux fantômes surgir pour lui intimer le calme. Il n'en fut rien.
Les temps avaient changé.
Ob' sentit ses muscles se contracter. Il n'y pouvait rien. Quand bien même il eût désirer se détendre, il n'y serait pas parvenu. La mention du cerf n'arrangea pas les choses. C'était pour lui une insulte que venait de proférer l'alpha adverse. Une injure, une moquerie destinée à sa meute.
L'Ombre.

Ob' sentit qu'il allait se déchaîner. Il se contint. Seuls sa langue serait violente. il imagina Cliff à ses côtés, le suppliant de rester immobile, de régler les choses par la morale. Qu'il était naïf... Le jeune loup brun eu un sourire en coin en visualisant son frère. Il se fit la réflexion que, sûrement, Amarante prendrait ce signe pour lui. Tant pis...



Ob' eu un moment de retenue. Il tenta de se contenir, échoua. Ce qu'il avait sur le coeur à propos de sa meute et de son propre honneur déjà brisé pesait de trop. Il se mit à crier sur Amarante



Second moment de pause dans sa tirade. Ob' retenait un rire sadique et triste. Son sourire en coin s'élargit, devenant un sourire dur qui n'accusait personne d'autre que lui-même... Lorsqu'il releva la tête, ses pupilles se rétractèrent, réduits à deux points noirs dans l'immensité mauve qui les entouraient, reflétant toute la haine qu'Oblivion avait ressentie pendant le dernier combat qu'il avait mené.



Les yeux d'Oblivion ne riaient plus, son ton était redevenu calme. Il n'avait pas bougé du rocher, mais il s'était dressé de toute sa hauteur lors de son échange verbal et ne tenait pas à se rasseoir. Il surplombait l'alpha, et il ressentait plus que jamais cette sensation de supériorité. Celle qui devait être offerte à sa meute.
A l'Ombre.
Non la Vie.

Pourquoi courrir quand on n'a aucune idée de sa destination ?